Montréal : Cimetière à entraîneurs?
par Simon Servant, AllHabs.net
Saint-Eustache, QC. — Bonjour à tous les lecteurs et lectrices de All Habs.
Ça faisait déjà quelques semaines que je préparais un petit article sur les entraîneurs du Canadien et puisque c’est toujours d’actualité, le voici.
Métier : Entraîneur-chef du Canadien
Il fut un temps où être entraîneur-chef du Canadien était synonyme de gloire et de victoire. Il fut un temps où c’était synonyme de passion et de fierté, d’identité et de désir de vaincre. Il fut un temps où être entraîneur-chef du Canadien de Montréal était synonyme de puissance, de pouvoir et de prestige.
Dans la LNH, il n’y avait pas plus puissant que l’entraîneur-chef du CH. Dirigeant dynasties après dynasties comme un empereur menant ses troupes en croisades à la conquête du Saint-Graal. Quelle ironie de voir le meilleur entraîneur de l’histoire de la ligue apporter avec lui ce qu’il restait peut-être de plus noble dans ce qu’était cette profession de pilote du Canadien.
En effet, depuis le départ de Scotty Bowman, en 1979, le métier d’entraîneur-chef du tricolore n’a plus le même lustre qu’antan. Être le chef d’orchestre du CH est synonyme de siège éjectable, de chaise musicale, de passer au suivant ce dont on a été incapable de faire et ne vous gênez pas pour rajouter ce que vous voulez.
Vous avez sûrement souvent entendu la phrase suivante : « Ce n’est pas la faute de l’entraîneur, c’est aux joueurs de bien jouer. » C’est vrai mais on répond souvent qu’il est plus facile de congédier celui qui dirige les joueurs que ceux-ci. Depuis la fin de l’ère Bowman, pas moins de 14 entraîneurs sont passés derrière le banc du Canadien. Sous quel prétexte fait-on ces changements? La victoire, la glorieuse histoire, les partisans, l’argent? Sous quels motifs est-ce que Montréal est maintenant un cimetière à entraîneurs??
Les plus grands chez le CH
De 1943 à 1979, le Canadien est devenu la plus grande dynastie de l’histoire du sport. Remportant pas moins de 18 Coupes Stanley pendant cette période – soit une moyenne d’une à toutes les deux saisons – le CH n’a eu que cinq entraîneurs dont trois qui auront laissé leur marque avec l’équipe mais aussi dans la LNH. Dick Irvin (de 1940 à 1955), Hector « Toe » Blake (de 1955 à 1968) et Scotty Bowman (de 1971 à 1979).
En 1942-1943, c’était la première année de ce que l’on a appelé « l’ère des six équipes originales. » À cette époque, le Canadien pouvait déjà compter sur un entraîneur d’expérience en Dick Irvin Sr. Irvin était entraîneur-chef dans la LNH depuis 13 ans et était allé faire un tour en finale de la Coupe Stanley huit fois. Son style agressif et sa capacité à défier ses joueurs auront grandement servi puisque la Sainte-Flanelle, pendant son règne, remporta trois Coupes Stanley et accéda à huit finales. Il terminera sa carrière d’entraîneur du Canadien avec 431 victoires.
En 1955, c’est l’ancien joueur et capitaine du Canadien, Toe Blake, qui a pris la relève. Il possède déjà un bon sens du hockey car il a eu du succès avec l’équipe avant d’accrocher ses patins en 1948. En plus, il est un très bon communicateur et entretien une belle relation avec les joueurs de l’équipe, qui étaient autrefois ses coéquipiers. Sous la tutelle de Blake, le CH remportera huit Coupes Stanley et ce en neuf visites en finale. Ses 500 victoires forment le plus haut total pour un entraîneur-chef du tricolore. Il décide de laisser sa place en 1968.
Après deux autres championnats en 1969 et en 1971, c’est Scotty Bowman qui prend la relève. Celui qui est considéré comme le meilleur entraîneur de l’histoire était déjà un vétéran puisqu’il avait pris part à trois finales avec les Blues. Il est caractériel, fin stratège et un excellent motivateur. Plusieurs joueurs ont avoué détester son style mais l’équipe gagnait et c’est ce qui faisait de lui un excellent entraîneur-chef. En huit saisons à la barre des glorieux, il remporta cinq Coupes Stanley et finira avec 419 victoires.
Si on combine les qualités de ces trois entraîneurs, on voit exactement le genre de pilote qu’il faut avoir dans la LNH, de nos jours : Un entraîneur-chef qui est bon communicateur, bon motivateur, qui possède un style de jeu agressif et qui est émotif.
Quelques faits à noter
– Il y a eu 14 entraîneurs différents en 32 ans, dont Bob Gainey deux fois. Pour une moyenne de 2,29 années par mandat.
– De ceux-là, il n’y a eu qu’un seul entraîneur uniquement anglophone (Bob Berry).
– Huit entraîneurs ont perdu leur poste alors que la saison était en cours, ce fut le cas des six derniers.
– Jacques Martin possède la 9e meilleure fiche des 14 qui sont passés depuis 1979.
– Un seul entraîneur n’a pas compilé une fiche d’au moins .500 (Alain Vigneault)
Le Canadien n’a remporté que deux Coupes Stanley en 32 ans. Certains iront même jusqu’à dire que ces championnats sont deux accidents qui n’auraient peut-être pas dû arriver. Sans l’intervention de Patrick Roy, peut-être que le tricolore aurait à combattre une disette assez gênante.
Montréal : Cimetière à entraîneurs
Comme je me le demandais plus tôt, quels sont les motifs qui font que le métier d’entraîneur-chef du CH est si difficile? Je vais vous proposer mon analyse sur plusieurs points et vous vous rendrez vite compte que c’est en quelque sorte un cercle vicieux qu’il faudra briser tôt ou tard.
Le fait francophone
Lorsque la direction du Canadien congédie un entraîneur, elle a souvent tendance, depuis quelques années, à regarder uniquement pour un entraîneur bilingue. En 32 ans, seul Bob Berry était uniquement anglophone et ça ne l’a pas empêché de conserver une fiche de .601 avec l’équipe. Qu’est-ce qui pousse la direction à faire ça? Les partisans, les médias québécois et la chaîne sportive qui couvre le CH qui sont majoritairement francophone??
Ce qu’il faut comprendre, c’est que le hockey est un sport anglophone. Au Québec, on possède beaucoup de bons entraîneurs mais il ne faut pas oublier que nous ne sommes que sept millions en comparaison à 360 millions pour tout le reste de l’Amérique du nord, majoritairement anglophone. Le Canadien refuse d’engager un entraîneur anglophone pour ne pas déplaire la clientèle francophone alors que l’important, au hockey, c’est la victoire. Pensez-vous sérieusement que si le CH remporte la Coupe Stanley avec un entraîneur Turc, les partisans vont se dissocier de l’équipe? Le meilleur entraîneur disponible plutôt que le meilleur entraîneur francophone disponible, c’est comme ça qu’on devrait raisonner.
La glorieuse histoire
Bien évidemment, le fait de jouer pour le Canadien comporte aussi une pression additionnelle car lorsqu’on regarde au plafond, on y voit toutes les bannières de championnats et tous les numéros retirés, il faut donc toujours prendre conscience de cette glorieuse histoire. Les grosses dynasties du Canadien sont survenues pendant la période des six équipes et un peu pendant les premières expansions, portant le nombre d’équipes à 12, 16 et 17.
C’était beaucoup plus facile remporter la Coupe Stanley à cette époque que maintenant. En plus, il faut considérer la parité, les agents libres, le cap salarial et le repêchage. Les entraîneurs n’ont pas trop le choix de trouver un moyen de faire produire les joueurs afin que l’équipe gagne parce que c’est l’identité qu’a le Canadien depuis des décennies. Du moment qu’on s’éloigne de cette identité, c’est terminé.
La victoire
Qui dit glorieuse histoire dit nombreuses victoires. Comme mentionné plus tôt, les six derniers entraîneurs du tricolore ont perdu leur emploi pendant que la saison était en cours mais pourtant, seulement Alain Vigneault n’avait pas réussi à compiler une fiche d’au moins .500. C’est sûr que la durée de vie d’un entraîneur, pour le CH, a un lien avec son succès et ses victoires toutefois, à Montréal, on a tendance à congédier les entraîneurs sous prétexte que le message ne passe plus ou qu’ils ont perdu le vestiaire alors que d’habitude, dans les bonnes équipes, on congédie l’entraîneur parce qu’il n’a pas su mener son équipe en finale de la Coupe Stanley ou en finale d’association.
Le CH n’a raté les séries que six fois depuis le départ de Bowman dont quatre fois en cinq ans (de 1998 à 2003) avec une équipe qui s’était effondrée carrément et qui n’avait plus de munitions. Depuis les dix dernières années, la moyenne de points qu’il fallait atteindre pour faire les séries était de 90 points soit un pourcentage de .549. Est-ce que le manque de victoires est vraiment un problème? Surtout quand on voit les fiches des Geoffrion (.600), Ruel (.669), Berry (.601), Lemaire (.621), Perron (.588), Burns (.609), Gainey (.570), Carbonneau (.589) et même Martin (.556), tous au-dessus du seuil acceptable.
Les Partisans
Donc, est-ce la faute des partisans?? Les partisans sont très émotifs et veulent que leur équipe gagne. Tous les savent et c’est normal. Cependant, les partisans n’ont pas vraiment de pouvoir décisionnel dans ce problème. Plusieurs voulaient la tête de Jacques Martin en début de saison et pourtant, il est encore en poste. Le pouvoir des partisans n’existe presque plus de nos jours et de toute façon, c’est bien beau vouloir boycotter les produits Molson ou arrêter d’aller au Centre Bell, il n’y a pas que les partisans du CH qui consomment de l’alcool et il y a une liste d’attente longue comme le bras pour des billets de saison…
Toutefois, ce sont eux qui paient les gros prix et qui en veulent pour leur argent. Si l’équipe n’offre pas un bon spectacle, on va souvent blâmer l’entraîneur.
Les Médias
Réjean Tremblay l’a déjà dit, s’ils se mettaient trois ou quatre éditorialistes sur le cas de l’entraîneur-chef, ils avaient le pouvoir de le faire congédier. Je ne suis pas convaincu que ce soit vraiment le cas mais reste que l’entraîneur doit toujours répondre à des questions pointues et est remis constamment en question. Il n’y a pas beaucoup d’entraîneurs qui doivent composer avec des dizaines de journalistes comme c’est le cas à Montréal.
L’Argent
Les Canadiens de Montréal sont une entreprise et le but de toute entreprise est de faire de l’argent. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi on n’a pas le droit de rebâtir en finissant dernier pendant deux ou trois années consécutives? Parce que les partisans ne l’accepteraient pas? Erreur. Si on disait clairement aux partisans que l’équipe fait une reconstruction pour mieux rebondir, ils ne déserteraient pas massivement le Centre Bell. C’est plutôt la menace monétaire pour les propriétaires qui fait peur. Si l’équipe ne fait pas les séries, c’est moins d’argent dans les poches du propriétaire, peut-être que les partisans quitteraient le Centre Bell et l’équipe pourrait perdre de la valeur et c’est pour cette raison que l’entraîneur-chef a toute la pression. En gros, si le propriétaire fait moins d’argent, l’entraîneur doit prendre une grosse partie du blâme.
Veuillez déposer votre CV…
À la lueur de ce que l’on a vu, on peut constater que peu importe sur quel angle on veut voir ça, l’entraîneur-chef du Canadien est toujours en péril. Le marché montréalais est sans merci et il n’y a aucune marge de manœuvre pour l’homme qui dirigera les troupes, c’est la Coupe Stanley ou la porte.
Mon but n’est absolument pas de défendre Jacques Martin ou quelques-uns de ses prédécesseurs mais bien de vous remémorer à quel point la pression est forte sur un seul homme. N’oubliez pas aussi que l’entraîneur-chef est au bas de la chaîne alimentaire, on va sauver l’emploi de plusieurs avant celui de l’entraîneur.
Finalement, le métier le plus difficile du monde n’est pas Président des États-Unis mais bien entraîneur-chef du tricolore parce que peu importe ce qui arrive, c’est la faute de l’homme au veston…
Et vous, qu’en pensez vous?? Merci de votre lecture.
Salut Simon! Un bon mélange d’histoire et d’actualité que tu nous offres là! 🙂
Personnellement, si le CH engageais un entraineur unilingue anglophone, je n’aurais vraiment aucun problème avec ça. S’il est mieux qualifié qu’un autre, c’est rééllement ça l’important. J’ai vraiment l’impression que l’idée du coach francophone est amplifiée et soutenu par les médias. Comme tu as dis, en autant que le CH l’emporte, que le coach soit turc ou bien grec, on s’en fiche pas mal.
De plus, je suis normalement la première à trouver cela vraiment injuste que l’on renvoie un entraineur alors que ce sont les joueurs qui sont sur la glace, mais avec Martin, j’ai l’impression que c’est vraiment son système et ses décisions douteuses qui ne cadrent pas avec les types de joueurs que l’on a dans l’équipe. Et le fait qu’il ne fait qu’à sa façon et refuse de voir qu’une autre manière pourrait peut-être être plus efficace me pousse à croire que son temps et peut-être fait avec le Canadien… Mais bon, c’est pas nous qui dirige alors on va voir ce qui va se passer 😉
Jacques Martin n’est pas un mauvais coach, sa fiche le démontre.
Par contre, son système n’est pas bâti pour cette équipe ou vice versa. Regarde ce qui se passe en ce moment à L.A., c’est un peu similaire; le DG a dépensé beaucoup d’argent cet été et il s’est construit une équipe qui a le potentiel d’être explosive.. Et tout semble indiquer que Darryl Sutter prendra la pôle. Quel gaspillage.
Bref, très intéressant et beau retour dans le passé aussi. Nostalgie..!